18

 

 

 

Dans la cour obscure de la demeure de Woudiver, Reith, Anacho et Traz s’interrogeaient sur la meilleure façon d’ouvrir la porte de service.

— Il ne faut surtout pas essayer de forcer la serrure, murmura l’Homme-Dirdir. Il a sans aucun doute des systèmes d’alarme et des pièges mortels pour se protéger.

— Passons par le toit, suggéra le Terrien. L’atteindre ne devrait pas être d’une difficulté extrême. (Il examina la muraille, le revêtement fissuré, le vieux psilla noueux.) C’est un jeu d’enfant. (Il tendit le bras.) On grimpe par là… on oblique par ici… et puis on escalade de ce côté.

Anacho hocha la tête d’un air morne.

— Tant de candeur me surprend de ta part. Qu’est-ce qui te fait penser que c’est le chemin le plus simple ? Crois-tu que Woudiver est convaincu que personne n’est capable de faire l’ascension ? Allons donc ! Partout où ta main se poserait, elle rencontrerait des dards, des pièges et des boutons.

Reith se mordit les lèvres en signe de mortification.

— Alors, comment te proposes-tu de pénétrer dans la place ?

— En tout cas, pas comme ça. Nous devons l’emporter sur la ruse de Woudiver en nous montrant plus malins que lui.

Traz fit soudain un geste et poussa ses amis dans l’ombre d’un renfoncement. Des pas étouffés sonnaient sur le chemin. Une haute silhouette maigre dépassa le trio d’une allure claudicante et s’arrêta devant la porte.

— Deïne Zarre ! fit le jeune nomade dans un souffle. Il semble être de méchante humeur.

Deïne Zarre était immobile. Sortant un outil, il se mit à travailler la serrure. La porte béa et il entra. Il y avait dans sa démarche quelque chose d’inexorable. Comme le destin. Reith bondit pour empêcher le battant de se rabattre complètement. Le vieillard s’éloignait en clopinant sans rien voir. Traz et Anacho franchirent le seuil à leur tour et Reith repoussa l’huis sans enclencher le pêne. Ils se trouvaient dans un préau dallé. Un passage chichement éclairé menait à la maison proprement dite.

— Pour l’instant, attendez ici tous les deux, ordonna Reith. Je veux affronter Woudiver seul à seul.

— Tu courras un sérieux danger, protesta Anacho. Il saute aux yeux que ce n’est pas avec de bonnes intentions que tu es venu !

— Pas forcément. Certes, il se méfiera mais il ignore que j’ai pris contact avec vous. S’il nous voit tous les trois, il sera aussitôt sur ses gardes. Seul, j’ai de meilleures chances de le circonvenir.

— Soit ! Nous t’attendrons quelque temps. Ensuite, nous viendrons te rejoindre.

— Accordez-moi quinze minutes.

Reith s’engagea dans le passage qui débouchait sur une cour intérieure. Deïne Zarre était en train de chatouiller la serrure d’une porte aux garnitures de cuivre. Un flot de lumière inonda brusquement la courette. Zarre avait selon toute apparence actionné un dispositif d’alerte. Et Artilo surgit.

— Zarre !

Le vieillard se retourna.

— Que fais-tu ici ? demanda l’homme de confiance de Woudiver d’une voix suave.

— Cela ne te concerne pas, répondit Deïne Zarre sans s’émouvoir. Laisse-moi en paix !

Artilo fit un large geste et un pistolet à énergie apparut dans son poing.

— J’ai des ordres. Prépare-toi à mourir.

Reith se rua en avant mais le mouvement des yeux de Deïne Zarre avertit l’autre, qui se retourna. En deux enjambées, le Terrien fut sur Artilo. Il lui porta un coup terrible à la base du crâne et le garde du corps s’écroula, mort. Zarre s’était déjà remis à la besogne comme s’il ne s’agissait que d’une péripétie sans le moindre intérêt.

— Attends ! lui lança Reith.

Le vieil homme fit volte-face. Ses yeux gris étaient d’une extraordinaire limpidité. Reith s’approcha de lui.

— Pourquoi es-tu venu ?

— Pour abattre Woudiver. Il s’en est pris à mes enfants. (Il s’exprimait avec calme sur un ton magistral.) Ils sont morts. Tous les deux. Ils ont quitté le triste monde de Tschaï.

— Woudiver doit être détruit… mais pas avant que l’astronef soit terminé.

Reith avait l’impression que sa propre voix était assourdie et qu’elle venait de très loin.

— Il ne te laissera jamais l’achever.

— C’est précisément cette raison qui m’a mené ici.

— Que peux-tu donc faire ? fit dédaigneusement Deïne Zarre.

— Le capturer et le garder jusqu’à ce que le vaisseau soit prêt. Alors, tu pourras le tuer.

— Très bien. Pourquoi pas ? Je le ferai souffrir.

— À ta guise. Passe devant. Je serai sur tes talons. Quand nous l’aurons débusqué, fais un esclandre mais abstiens-toi de toute violence. Il ne faut pas le pousser à bout, de crainte qu’il ne prenne une initiative dictée par le désespoir.

Sans un mot, Zarre recommença à fracturer la serrure. La porte ne tarda pas à s’ouvrir, révélant une pièce décorée de jaune et d’écarlate. Le vieillard entra et, après avoir jeté un bref coup d’œil derrière son épaule, Reith le suivit. Un nabot coiffé d’un phénoménal turban blanc sursauta à leur entrée.

— Où est Aïla Woudiver ? s’enquit Deïne Zarre de sa voix la plus douce.

— Il est occupé par des affaires de la plus haute importance, répondit le domestique avec morgue. Il ne saurait être dérangé.

L’empoignant par la peau du cou, Reith le souleva à moitié, ce qui fit basculer le turban. Le nain poussa un gémissement où la douleur se mêlait à la dignité outragée.

— Que fais-tu ? Lâche-moi ou j’appelle mon maître.

— C’est justement ce que nous voulons que tu fasses, répliqua Reith.

L’avorton recula, se massant la nuque. Il décocha à Reith un regard flamboyant de colère.

— Quittez cette maison tout de suite !

Le serviteur commença à larmoyer :

— Mais ce n’est pas possible ! Il me ferait fouetter !

— Regarde dans la cour, dit Deïne Zarre. Tu y verras le cadavre d’Artilo. As-tu envie de partager son sort ?

Le nabot se mit à trembler. Il tomba à genoux mais Reith l’obligea à se relever.

— Vite ! Conduis-nous auprès de Woudiver !

— Mais vous lui direz que vous m’y avez obligé en me menaçant de mort ! cria-t-il. (Ses dents claquaient.) Vous allez le jurer…

Au même moment, à l’autre bout de la pièce, une tenture s’écarta, laissant apparaître le visage adipeux de Woudiver.

— Qu’est-ce que c’est que ce vacarme ?

Reith repoussa le nain.

— Ton serviteur ne voulait pas t’appeler.

L’astuce et la méfiance qui habitaient le regard de Woudiver scrutant le Terrien dépassaient l’imagination.

— Il a fait son devoir. Je suis en train de traiter des affaires importantes.

— Pas aussi importantes que la mienne.

— Un instant ! (Aïla Woudiver alla dire quelques mots à ses visiteurs dans la pièce voisine et, bombant le torse, revint dans le salon jaune et écarlate.) Tu as l’argent ?

— Bien entendu. Serais-je ici si je ne l’avais pas ?

Le poussah étudia son interlocuteur pendant quelques secondes.

— Où est-il ?

— En lieu sûr.

Woudiver mâchonna sa lippe pendante.

— N’emploie pas ce ton avec moi. Pour être franc, je te soupçonne d’avoir tramé une machination infâme qui a eu pour conséquence l’évasion d’une foule de criminels, ceux qui se sont échappés aujourd’hui même de la Boîte de Verre.

Reith ricana.

— J’aimerais bien que tu m’expliques comment j’aurais pu me trouver dans deux endroits différents en même temps !

— Que tu aies été dans un seul est suffisant pour te perdre. Une heure avant l’événement en question, un homme dont le signalement correspond au tien a sauté dans l’arène. Il ne l’aurait jamais fait s’il n’avait pas été certain de pouvoir s’enfuir. Il convient de noter que l’Homme-Dirdir renégat était apparemment au nombre des évadés.

Deïne Zarre intervint :

— Le battarache provenait de tes magasins. Si tu ouvres la bouche, tu seras tenu pour responsable.

Woudiver sembla remarquer Zarre pour la première fois.

— Que fais-tu ici, vieillard ? s’exclama-t-il, feignant la surprise. Tu ferais mieux de retourner à tes occupations.

— Je suis venu dans l’intention de te tuer. Adam Reith m’a demandé de surseoir.

— Allons, Woudiver, le jeu est terminé, dit le Terrien. Tu vas me suivre. (Il sortit son arme.) Vite ou je te brûle le cuir !

Woudiver regarda successivement les deux hommes sans émoi.

— Les souris montrent les dents, à présent ?

Une longue expérience avait appris à Reith quand il devait s’attendre à une altercation, à de l’obstination et, plus généralement, à un comportement malveillant de la part de l’interlocuteur.

— Suis-moi Woudiver, laissa-t-il tomber d’une voix lasse.

Woudiver sourit.

— Deux petits sous-hommes ridicules ! (Et, haussant imperceptiblement le ton, il appela :) Artilo !

— Artilo est mort, fit Deïne Zarre.

Il regarda à gauche et à droite, l’air vaguement intrigué. Woudiver l’observait aimablement.

— Tu cherches quelque chose ?

Ignorant la question, Zarre souffla à l’oreille de Reith.

— C’est trop facile, même pour Woudiver. Prends garde.

Le Terrien jeta d’une voix tranchante :

— Je compte jusqu’à cinq et je fais feu.

— Une question, d’abord. Où sommes-nous censés nous rendre ?

— Un… deux…

Woudiver exhala un bruyant soupir.

— Je ne trouve pas ça drôle.

— … trois…

— Toujours est-il que je dois prendre des mesures de protection…

— … quatre…

— … c’est l’évidence même.

Il s’adossa au mur. Instantanément, le dais de velours s’abattit lourdement sur Reith et Zarre. Le Terrien tira mais les plis de l’étoffe firent dévier son bras et le rayon ne fit que calciner les dalles de la mosaïque noire et blanche.

Woudiver gloussa. Son ricanement était étouffé mais l’on en percevait toutes les sonorités grasses et onctueuses. Ses pas firent trembler le sol, menaçants, et une masse d’un poids effarant fit suffoquer Reith : le colosse s’était laissé choir sur lui. Le Terrien, paralysé, était à demi étourdi. La voix de Woudiver retentit de nouveau, plus proche ».

— Comme ça, les crapoussins se sont mis dans la tête de causer des ennuis à Aïla Woudiver ? Ils ont bonne mine ! (Le poids cessa d’écraser-Reith.) Et Deïne Zarre qui a courtoisement accepté de surseoir à l’assassinat ! Eh bien ! adieu, Deïne Zarre ! J’ai plus d’esprit de décision que toi.

Un son, un gargouillement triste et pâteux, puis un crissement d’ongles égratignant la mosaïque.

— Adam Reith, reprit la voix, tu représentes un cas de folie bien spécial. Tes intentions m’intéressent. Lâche ton arme, allonge les bras et ne bouge pas. Tu sens quelque chose sur ton cou ? C’est mon pied. Alors, vite ! Les mains en l’air et pas de mouvements brusques. Hisziu, prépare-toi !

Le dais, soudain tiré en arrière, dégagea les bras tendus du Terrien. Des doigts noirs et agiles lui lièrent les poignets à l’aide d’un ruban de soie.

Maintenant, Reith était libéré des plis de velours qui le tenaient captif. Encore abasourdi, il leva les yeux vers le colosse qui, debout, le contemplait, jambes écartées. Hisziu, le serviteur, trottinait dans tous les sens comme un jeune chien. Woudiver remit le Terrien sur ses pieds.

— Si tu veux bien avancer…

Et, d’une bourrade, il propulsa Reith qui flageolait sur ses jambes.

Le Dirdir
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